Des bœufs et des débats …

Actuellement, suite aux élections régionales de Thuringe et la  démission forcée du nouvel élu ministre-président Kemmerich, les débats politiques allemands sont marqués par une polémique exceptionnelle, particulièrement de la part de la chancelière A. M. et de ses vassaux, qui ont fait monter le ton de la discussion de manière insupportable pour couvrir la désintégration, la possible fragmentation totale de leur propre parti.

On entend leurs cris à cent lieues, mais il devrait être clair que ces voix criardes sont peu avantageuses pour un discours public constructif; tout aussi peu que la langue de bois en vigueur, de rigueur aujourd’hui.

En suivant ces débats, je me suis souvenu d’un livre lu il y a tant d’années: les Maximes de François La Rochefoucauld (1613-1680), œuvre consacrée a une ample gamme de sujets humains et trop humains, tous universels.

Parmi les thèmes qu’il aborde en cette collection d’aphorismes – dont chacun est digne d’une plume plus douée que la mienne – figure l’art de la conversation.

Selon La Rochefoucauld, le pire ennemi de la bonne conversation et du débat courtois, c’est l’amour propre, l’égoïsme humain; une conviction exprimée en des formules concises et frappantes:

Ce qui fait que si peu de personnes sont agréables dans la conversation, c’est que chacun songe plus à ce qu’il veut dire qu’à ce que les autres disent.

On parle peu quand la vanité ne fait pas parler.

Il est dangereux de vouloir être toujours le maître de la conversation.

Les mots suivants du grande moraliste paraissent être écrits en défense de tant d’Allemands que n’en peuvent plus ni des discours formatés et moralisateurs de la caste politicienne de Berlin ni de son assurance ostentatoire:

On ne doit jamais parler avec des airs d’autorité, ni se server de paroles et de termes plus grands que les choses. On peut conserver ses opinions, si elles sont raisonnables; mais en les conservant, il ne faut jamais blesser les sentiments des autres, ni paraître choqué de ce qu’ils ont dit.

Bien écouter et bien répondre est une des plus grandes perfections qu’on puisse avoir dans la conversation.

La Rochefoucauld, Maximes et réflexions diverses, edit. Jacques Truchet, GF Flammarion, Paris 1977

Une des choses qui fait que l’on trouve si peu de gens qui paraissent raisonnables et agréables dans la conversation, c’est qu’il n’y a presque personne qui ne pense plutôt à ce qu’il veut dire qu’à répondre précisément à ce qu’on lui dit.

– C’est un des ouvrages qui contribuèrent le plus à former le goût de la nation, et à lui donner un esprit de justesse et de précision (…). Il accoutuma à penser et à renfermer des pensées dans un tour vif, précis et délicat. C’est un mérite que personne n’avait eu avant lui en Europe, depuis la renaissance des lettres. (Voltaire)

Un vrai dialogue, un échange ouvert, à la fois franc et respectueux, d’idées et d’arguments – ne serait-il pas une alternative souhaitable au bêlement des brebis, au mugissement des bœufs de Berlin que nous fatiguent ces jours-ci?